Le projet de la rue Erlanger (Paris XVIe) portait sur la construction d’un important immeuble comprenant une cinquantaine de logements sociaux, un local associatif, une crèche, une école et « une résidence sociale de 25 places destinée à accueillir des femmes victimes de violence ainsi que leurs enfants ».
Historique de l’affaire
Des riverains ont déféré le permis de construire octroyé le 6 mars 2019 par la Maire de Paris à la censure du juge administratif, qui a fait droit à la requête par un jugement du 7 janvier 2021 en annulant ce permis.
Saisi par la Ville de Paris et Paris Habitat, le Conseil d’État censure le raisonnement des premiers juges.
Le Conseil d’État retient en effet que c’est à tort qu’ils ont retenu que l’autorité compétente pour délivrer une autorisation de création d’établissement recevant du public (ERP) aurait dû donner son accord préalablement à la délivrance du permis de construire.
Mais un autre moyen étant fondé, l’annulation du permis de construire est confirmée.
L’articulation de l’autorisation de création et du permis de construire
L’interprétation de deux textes était en litige (ici dans leur version actuellement en vigueur).
Article L. 425-3 du code de l’urbanisme
« Lorsque le projet porte sur un établissement recevant du public, le permis de construire tient lieu de l’autorisation prévue par l’article L. 122-3 du code de la construction et de l’habitation dès lors que la décision a fait l’objet d’un accord de l’autorité administrative compétente qui peut imposer des prescriptions relatives à l’exploitation des bâtiments en application de l’article L. 143-2 du code de la construction et de l’habitation. Le permis de construire mentionne ces prescriptions. Toutefois, lorsque l’aménagement intérieur d’un établissement recevant du public ou d’une partie de celui-ci n’est pas connu lors du dépôt d’une demande de permis de construire, le permis de construire indique qu’une autorisation complémentaire au titre de l’article L. 122-3 du code de la construction et de l’habitation devra être demandée et obtenue en ce qui concerne l’aménagement intérieur du bâtiment ou de la partie de bâtiment concernée avant son ouverture au public« .
Article L. 122-3 du CCH
« Les travaux qui conduisent à la création, l’aménagement ou la modification d’un établissement recevant du public ne peuvent être exécutés qu’après autorisation délivrée par l’autorité administrative, qui vérifie leur conformité aux règles d’accessibilité prévues à l’article L. 161-1 et, lorsque l’effectif du public et la nature de l’établissement le justifient, leur conformité aux règles de sécurité contre l’incendie prévues aux articles L. 141-2 et L. 143-2« .
Par exception, « lorsque l’aménagement intérieur d’un établissement recevant du public ou d’une partie de celui-ci n’est pas connu lors du dépôt d’une demande de permis de construire », le permis de construire ne vaut pas autorisation de créer un établissement recevant du public.
Dans ce cas, une autorisation complémentaire spécifique doit être « demandée et obtenue en ce qui concerne l’aménagement intérieur du bâtiment ».
L’autorisation de création d’un ERP n’est pas exigée lorsque l’aménagement intérieur des locaux n’est pas connu
Au cas d’espèce, le Conseil d’État censure le jugement attaqué en ce qu’il a fait grief à l’arrêté du 14 décembre 2018 de la Maire de Paris d’avoir été édicté sans que l’autorisation complémentaire relative aux établissements recevant du public n’ait été obtenue au préalable.
Dans une précédente décision Ville de Paris et Paris Habitat, le Conseil d’Etat a retenu qu’était illégal un permis de construire relatif à un ERP dont l’aménagement intérieur n’est pas connu qui ne comporte pas la mention expresse de « l’obligation de demander et d’obtenir une autorisation complémentaire avant l’ouverture au public » (CE, 23 mai 2018, n° 405937).
Cette obligation est entendue largement :
- elle vaut « alors même que le contenu du dossier de demande de permis de construire témoignerait de la connaissance, par le pétitionnaire, de cette obligation » (même décision) ;
- le simple renvoi, par le permis de construire, à l’avis de la commission communale d’accessibilité est insuffisante (CE, 25 novembre 2020, n° 430754).
Mais ces décisions ne résolvent pas la question posée au Conseil d’Etat dans la présente affaire, qui peut être résumée ainsi :
En l’absence de détermination de l’aménagement intérieur d’un bâtiment, le permis de construire doit-il inclure une demande de « création » de l’ERP, à charge pour le pétitionnaire de solliciter ultérieurement l’autorisation « complémentaire » visée à l’article L. 425-3 du code de l’urbanisme?
Le Conseil d’Etat y répond par la négative.
Il n’y a en effet pas lieu de distinguer une autorisation préliminaire de « création » de l’ERP, qui serait suivie d’une autorisation « complémentaire » une fois l’aménagement intérieur du bâtiment déterminé.
Le terme « autorisation complémentaire » visé à l’article L. 425-3 du code de l’urbanisme est trompeur. Le Conseil d’Etat précise qu’il doit s’entendre comme « autorisation ERP complémentaire au permis de construire délivré« … Et non pas comme une autorisation complémentaire à une autorisation de création d’ERP qui aurait été préalablement délivrée.
En réalité, l’appellation d’ « autorisation spécifique » déjà retenue par la jurisprudence (CE, 25 novembre 2020, n° 430754 ; CE, 11 février 2022, n° 448357) est moins ambiguë, puisqu’elle ne suggère pas qu’une démarche « complémentaire » devrait suivre une demande d’autorisation « de création » d’un ERP.
Ainsi lorsque l’aménagement intérieur de locaux constitutif d’un futur ERP n’est pas connu, le permis de construire peut être valablement délivré, sans autorisation préalable de création d’ERP, à condition que ledit permis mentionne expressément l’obligation de demander et d’obtenir une autorisation complémentaire avant l’ouverture au public.
Une spécificité parisienne : le Préfet de police est compétent pour délivrer l’autorisation de l’article L. 122-3 CCH
Le Conseil d’État confirme à l’occasion de cette décision qu’à Paris, l’autorité compétente pour délivrer cette autorisation est le préfet de police, en tant qu’autorité chargée « du secours et de la défense contre l’incendie » (article L. 2512-17 du CGCT ; voir également CAA Paris, 8 novembre 2018, n° 15PA03214 ; implicitement : CE, 19 janvier 2018, n° 389523).
Cette précision est bienvenue, l’article R. 122-7 du code de la construction et de l’habitation permettant, auparavant, de douter légitimement d’une telle solution.