Un bail rural peut-il être conclu sans mise en concurrence sur le domaine privé d’une personne publique ?
La question n’est pas nouvelle.
Elle est posée avec plus d’acuité ces derniers temps, en raison de l’arrêt du Conseil d’Etat du 2 décembre 2022 (n° 460100), qui a considéré que les baux portant sur des biens appartenant au domaine privé des personnes publiques n’étaient pas soumis aux obligations de publicité et de mise en concurrence prévues par les textes européens .
En effet, dans cet arrêt du 2 décembre 2022, le Conseil d’Etat a considéré, à propos d’un bail emphytéotique portant sur un hôtel relevant du domaine privé communal, que :
« si les dispositions de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, transposées à l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques (…) impliquent des obligations de publicité et mise en concurrence préalablement à la délivrance d’autorisations d’occupation du domaine public permettant l’exercice d’une activité économique, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne par son arrêt du 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl (C-458/14 et C-67/15), il ne résulte ni des termes de cette directive ni de la jurisprudence de la Cour de justice que de telles obligations s’appliqueraient aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant à leur domaine privé, qui ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l’article 4 de cette même directive« .
L’arrêt du Conseil d’Etat, beaucoup commenté par la doctrine et les praticiens quant à ses implications, pose la question de l’articulation de cette jurisprudence avec les dispositions spécifiques portant sur la conclusion de baux ruraux sur le domaine privé des personnes publiques.
Comme souvent en matière de mise en concurrence et de publicité, le bon sens est de mise.
En matière de baux ruraux sur le domaine privé des personnes publiques, le principe est celui de la priorité d’accès pour l’installation des jeunes agriculteurs ou, à défaut, des exploitants de la commune
Les terrains à vocation agricole, dont une commune peut être propriétaire, relèvent du domaine privé communal.
L’article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime (CRPM) prévoit que lorsque le bailleur est une personne morale de droit public, le bail peut être conclu soit à l’amiable, soit par voie d’adjudication.
Il est toutefois précisé s’agissant du mode d’attribution de ces contrats que la collectivité doit privilégier l’installation des jeunes agriculteurs :
« Quel que soit le mode de conclusion du bail, une priorité est réservée aux exploitants qui réalisent une installation en bénéficiant de la dotation d’installation aux jeunes agriculteurs ou, à défaut, aux exploitants de la commune répondant aux conditions de capacité professionnelle et de superficie visées à l’article L331-2 du présent code, ainsi qu’à leurs groupements.
Ces dispositions s’appliquent aux conventions pluriannuelles d’exploitation agricole ou de pâturage mentionnées à l’article L. 481-1. »
Le non respect de cette obligation est sévèrement sanctionné.
En application de cette disposition, est ainsi nul le bail consenti par une personne morale de droit public sans respecter la priorité réservée aux exploitants de la commune qui constitue une obligation d’ordre public (Civ. 3e, 10 juin 2009, n° 08-15.533).
Que change la jurisprudence récente du Conseil d’Etat pour les baux ruraux des collectivités territoriales ?
Si l’on peut ainsi considérer que les baux relatifs à une activité agricole sur le domaine privé des personnes publiques ne seraient pas soumis à une procédure de publicité et de sélection préalables en application de l‘article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques, il reste que les dispositions spéciales du code rural et de la pêche maritime prévoient bien une priorité en faveur des jeunes agriculteurs ou « à défaut » des exploitants de la commune répondant à des conditions de capacité professionnelle et de superficie.
Toute attribution sans publicité ou mise en concurrence à un agriculteur ferait prendre le risque à la personne publique d’une contestation sur le plan de l’égalité des candidats potentiels à un tel bail rural, dans un contexte de difficultés d’accès au foncier pour les jeunes agriculteurs.
Il est ainsi conseillé de mettre en œuvre des mesures minimales de publicité et de mise en concurrence, comme cela était déjà requis par l’article L. 411-15 du CRPM et par l’interprétation qui en était faite par la jurisprudence tant judiciaire qu’administrative.
L’article L. 411-15 du CRPM implique ainsi que l’organe délibérant de la collectivité propriétaire de terres agricoles ait connaissance de l’ensemble des candidatures en présence et procède à leur examen (CAA de Nancy, 21 septembre 2021, n° 20NC03594).
Il en découle pour la collectivité une obligation de procéder à une publicité préalable de la mise en location des terrains.
La sanction de l’absence de publicité est tout bonnement la nullité des baux ruraux ainsi conclus (Cour de cass., 3e civ, 13 octobre 2021, n° 20-15.646). :
« 6. En deuxième lieu, la cour d’appel a énoncé, à bon droit, que la validité d’un bail rural consenti par une personne morale de droit public était subordonnée au respect du droit de priorité reconnu par l’article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime.
7. En troisième lieu, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, elle a retenu, par une appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve versés aux débats, que les consorts [Q] remplissaient les conditions de la priorité prévue par le texte précité et, procédant à la recherche prétendument omise, que ceux-ci n’avaient pas été en mesure, à défaut de mesure de publicité, de présenter en temps utile leur candidature ni même une demande d’autorisation d’exploiter. »
(Voir également, à ce sujet, la réponse du Ministère auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des collectivités territoriales et de la ruralité, publiée dans le JO Sénat du 30/03/2023 – page 2).