Sur l’arrêt du Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 7 juin 2023, n° 447797
Quel est le sort d’un bail rural après l’incorporation dans le domaine public de la parcelle exploitée ?
Les règles de la domanialité publique l’emportent-elles sur celles qui s’appliquent à un bail rural ? Quelle coordination entre ces deux corpus de règles d’ordre public ?
C’est la question à laquelle le Conseil d’Etat a dû répondre dans l’arrêt rendu le 7 juin dernier (n° 447797), s’agissant du domaine public géré par le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres.
Réponse : le preneur d’un bail rural occupant un terrain intégré au domaine public en cours de contrat ne bénéficie plus du statut du fermage et se trouve soumis à un régime de droit public pour la période restant à courir.
I.- Le bail rural sur le domaine public, quelles spécificités ?
Il faut rappeler ici que la qualification de bail rural est généralement lourde de conséquences pour le propriétaire d’un terrain, puisque les cas de résiliation et de reprise du terrain sont strictement limités par les dispositions des articles L411-30 à L411-34 du CRPM. Il est ainsi très compliqué de reprendre un terrain agricole à un exploitant agricole. Et c’est le risque principal pour tout propriétaire mettant à disposition un terrain pour un usage agricole.
Toutefois, dans le cas des baux ruraux portant sur le domaine (public ou privé) des collectivités territoriales, l’article L. 415-11 du CRPM prévoit une dérogation au droit au renouvellement du fermier :
« Les baux du domaine de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs groupements ainsi que des établissements publics, lorsqu’ils portent sur des biens ruraux constituant ou non une exploitation agricole complète, sont soumis aux dispositions du présent titre. Toutefois, le preneur ne peut invoquer le droit au renouvellement du bail lorsque la collectivité, le groupement ou l’établissement public lui a fait connaître, dans un délai de dix-huit mois avant la fin du bail, sa décision d’utiliser les biens loués, directement et en dehors de toute aliénation, à une fin d’intérêt général.
En outre, en cas d’aliénation, le preneur ne peut exercer le droit de préemption si l’aliénation est consentie à un organisme ayant un but d’intérêt public et si les biens vendus sont nécessaires à la réalisation de l’objectif poursuivi par l’organisme acquéreur.
Enfin, le bail peut, à tout moment, être résilié sur tout ou partie des biens loués lorsque ces biens sont nécessaires à la réalisation d’un projet déclaré d’utilité publique ; dans ce cas, le preneur a droit à une indemnité à raison du préjudice qu’il subit. »
La qualification de bail rural est généralement lourde de conséquences pour le propriétaire d’un terrain, puisque les cas de résiliation et de reprise du terrain sont strictement limités par les dispositions des articles L411-30 à L411-34 du CRPM. Il est ainsi très compliqué de reprendre un terrain agricole à un exploitant agricole. Et c’est le risque principal pour tout propriétaire mettant à disposition un terrain pour un usage agricole.
Toutefois, dans le cas des baux ruraux portant sur le domaine (public ou privé) des collectivités territoriales, l’article L. 415-11 du CRPM prévoit une dérogation au droit au renouvellement du fermier :
« Les baux du domaine de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs groupements ainsi que des établissements publics, lorsqu’ils portent sur des biens ruraux constituant ou non une exploitation agricole complète, sont soumis aux dispositions du présent titre. Toutefois, le preneur ne peut invoquer le droit au renouvellement du bail lorsque la collectivité, le groupement ou l’établissement public lui a fait connaître, dans un délai de dix-huit mois avant la fin du bail, sa décision d’utiliser les biens loués, directement et en dehors de toute aliénation, à une fin d’intérêt général.
En outre, en cas d’aliénation, le preneur ne peut exercer le droit de préemption si l’aliénation est consentie à un organisme ayant un but d’intérêt public et si les biens vendus sont nécessaires à la réalisation de l’objectif poursuivi par l’organisme acquéreur.
Enfin, le bail peut, à tout moment, être résilié sur tout ou partie des biens loués lorsque ces biens sont nécessaires à la réalisation d’un projet déclaré d’utilité publique ; dans ce cas, le preneur a droit à une indemnité à raison du préjudice qu’il subit. »
Ce principe est également rappelé par la jurisprudence administrative : l’occupation du domaine public, même sous la forme d’un bail rural, ne peut être que précaire et révocable (CAA de Marseille, 16 octobre 2020, n° 20MA01368 – 20MA01470). :
« L’acte par lequel un particulier est autorisé à occuper une parcelle du domaine public d’une personne publique échappe, même s’il revêt la forme ou la dénomination d’un bail rural, aux règles de fond propres au droit privé. Ainsi, si un bail rural verbal dont l’existence a été reconnue par un jugement définitif d’un tribunal paritaire des baux ruraux a pu produire tous les effets qu’y attache le CRPM jusqu’à l’entrée des parcelles sur lesquelles il a été conclu dans le domaine public du Conservatoire du littoral, à compter de cette date et jusqu’à son expiration, il ne confère à son titulaire qu’un droit d’occupation et d’usage temporaire et spécifique de ce domaine. »
D’ailleurs, l’article L. 415-11 du CRPM parle de « biens loués », ce qui démontre que le fermier est un simple locataire du domaine, privé ou public, de la personne publique.
Ainsi, dans le cadre de l’occupation du domaine privé ou public d’une collectivité territoriale, le droit à renouvellement du fermier, à l’échéance du bail rural, est remis en cause par la possibilité de la personne publique de mettre fin au bail afin d’utiliser les « biens loués directement et en dehors de toute aliénation, à une fin d’intérêt général ».
II.- Dans son arrêt du 7 juin 2023, le Conseil d’Etat confirme le mode d’emploi des baux ruraux sur le domaine public
Ces principes de cohabitation des dispositions d’ordre public du bail rural et de la domanialité publique ont été rappelés, une nouvelle fois, par le Conseil d’Etat (CE, 7 juin 2023, n° 447797).
En vertu des dispositions de l’article L. 322-9 du code de l’environnement, le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, ou l’une des personnes morales mentionnées au deuxième alinéa de cet article avec laquelle il a passé une convention de gestion, peut autoriser par voie de convention un usage temporaire et spécifique des immeubles compris dans son domaine public dès lors que cet usage est compatible avec sa mission, qui comprend notamment la sauvegarde du littoral, le respect des équilibres écologiques et la préservation des sites naturels ainsi que, le cas échéant, avec le plan de gestion élaboré en application de l’article R. 322-13 du même code.
Lorsque le conservatoire procède à l’intégration dans le domaine public de biens immobiliers occupés et mis en valeur par un exploitant déjà présent sur les lieux en vertu d’un bail rural en cours de validité, ce bail constitue, jusqu’à son éventuelle dénonciation, un titre d’occupation de ce domaine.
Ce titre d’occupation fait bien entendu obstacle à ce que cet exploitant soit expulsé ou poursuivi au titre d’une contravention de grande voirie pour s’être maintenu sans droit ni titre sur le domaine public.
Ce contrat ne peut, en revanche, une fois ces biens incorporés au domaine public, conserver un caractère de bail rural en tant qu’il comporte des clauses incompatibles avec la domanialité publique.
Il s’ensuit qu’après l’incorporation au domaine public de terres mises en valeur par un exploitant, le conservatoire ou la personne publique propriétaire peut décider de dénoncer le bail rural qui n’était pas encore parvenu à expiration, pour mettre fin à cette occupation et priver par conséquent l’exploitant du droit et du titre d’occupation procédant de ce bail.
Dans le cas particulier du Conservatoire, dans l’hypothèse où, après cette dénonciation, le conservatoire considère que l’usage des biens relevant de son domaine propre peut être associé à une exploitation agricole, il peut alors proposer de conclure avec ce même exploitant, qui dispose pour la poursuite de son activité d’une priorité en vertu des dispositions de l’article L. 322-9 du code de l’environnement, ou en l’absence d’accord avec celui-ci, avec un autre exploitant, une convention d’usage temporaire et spécifique. Cette convention doit permettre un usage des terres compatible avec les missions confiées à l’établissement public, notamment la sauvegarde du littoral, le respect des équilibres écologiques et la préservation des sites naturels, ainsi que, le cas échéant, avec le plan de gestion élaboré à cette fin en application de l’article R. 322-13 du même code.
Dans le cas où le bail conclu antérieurement à l’incorporation n’est pas dénoncé et au plus tard jusqu’à sa prochaine échéance – date à laquelle, en tout état de cause, le régime de la domanialité publique fait obstacle à ce qu’il puisse être renouvelé -, il est loisible au conservatoire de laisser l’occupant, en vertu du titre dont il dispose et qui procède du bail initial, poursuivre à titre précaire cette occupation associée à une exploitation agricole, en se fondant sur les clauses de ce bail qui ne sont pas incompatibles avec la domanialité publique et les missions confiées au conservatoire.
Dans tous les cas, une exploitation agricole des biens incorporés au domaine propre de l’établissement public qui porte atteinte à l’intégrité ou à la conservation de ce domaine constitue, en vertu de l’article L. 322-10-4 du code de l’environnement, et sans préjudice des sanctions pénales encourues, une contravention de grande voirie qu’il appartient au Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres de constater, réprimer et poursuivre par voie administrative.