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#CADA : Les données médicales, un document administratif comme un autre ?

Médicaments colorés

La communication des documents médicaux en tant que documents administratifs n’en finit pas de poser des questions aux acteurs du secteur, dans le périlleux équilibre entre secret médical, vie privée du patient, transparence et recherche.

Un arrêt récent du Conseil d’Etat (CE, 8 février 2023, n°455887) démontre une nouvelle fois que l’application du droit à l’information en matière médicale dépasse largement la question de la communication du dossier médical et trouve à s’appliquer à des documents administratifs à caractère généraux, comme un registre de contention et d’isolement d’un centre hospitalier, document ô combien sensible. 

Au commencement, le droit d’accès au dossier médical 


Au commencement de cette évolution, il y a la généralisation de l’accès au dossier médical. Le 4 mars 2002, est adoptée la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, également dite loi Kouchner du nom du ministre de la santé de l’époque. Elle résultait de vingt années de consultation d’associations de patients qui – dans un contexte de lutte contre le VIH – réclamaient un rééquilibrage de la relation avec les professionnels de santé, détenteurs des connaissances médicales Ce rééquilibrage impliquait davantage de transparence ce qui se traduisit notamment par la consécration de deux droits : le droit d’accès direct au dossier médical et le droit à l’information. 

La consécration de ces droits s’inscrivait également dans une période de revendication d’une administration plus transparente.

La consécration du droit d’accès direct au dossier médical tendait ainsi à faire évoluer le régime du dossier médical, d’un document relevant exclusivement des professionnels de santé, vers un document administratif comme un autre. Il illustre l’évolution de la relation entre un professionnel de santé et un patient : avec la loi de 2002, le patient tend à devenir l’usager d’un service public qui a le droit de demander des comptes à son administration. Il passe de la figure de patient entendu comme une personne passive soumise aux décisions médicales à celui d’un patient-usager qui devient acteur de sa santé et qui participe aux décisions médicales (NICOLAS Charline, « L’accès direct au dossier médical à l’AP-HP, vingt ans après la « loi Kouchner » », Les Tribunes de la santé, 2021/4 (N° 70), p. 83-94. DOI : 10.3917/seve1.070.0083)

Avant 2002, les patients pouvaient demander à accéder aux informations contenues dans le dossier médical. Cette demande avait lieu directement après la prise en charge médicale. Avec la consécration du droit d’accès au dossier médical, le patient voulant accéder à son dossier entre dans une procédure bien plus formalisée, comme en témoigne la rédaction de l’article L. 1111-7 du code de la santé publique qui mentionne des informations concernant sa santé qui « sont formalisées ou ont fait l’objet d’échanges écrits entre professionnels de santé ».

Cette formalisation des données de santé se traduit également par le « renforcement de la place de l’écrit dans la culture médicale » qui se retrouve également dans l’article du code de la santé publique.[4] Les professionnels de santé se sont adaptés à cette exigence et s’accordent à reconnaitre une adaptation du contenu du dossier médical : par exemple, ils veillent à ne pas inscrire des indications sur les patients sans lien ou utilité pour le diagnostic ou le soin.

Cette mutation de la nature du dossier médical se traduit, de manière évidente, par le fait qu’en cas de refus de communication du dossier médical, le patient peut saisir la CADA.

Un droit à l’information élargi à l’ensemble des documents médicaux pour la personne concernée 


Les informations médicales concernées par le droit à l’information sont multiples et dépassent le simple dossier médical.

L’article L. 1111-7 du code de la santé publique a codifié le droit d’accès direct du patient à son dossier médical en disposant que « toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, par des professionnels de santé ». 

Une partie essentielle de ces informations réside dans le dossier médical dont le contenu est précisé par l’article R. 1112-2 du même code. Les informations contenues dans le dossier médical comprennent notamment la lettre du médecin à l’origine de la consultation, les motifs d’hospitalisation, la recherche d’antécédents et de facteurs de risques, les conclusions de l’évaluation clinique initiale, la nature des soins dispensés, le compte rendu opératoire ou d’accouchement…

L’action de la CADA et ses avis ont joué une grande part dans l’ouverture de l’accès aux données médicales. Pour sa part, la CADA a considéré que constituent des informations médicales des radiographies (20180996), des clichés d’IRM (20144604), des notes d’un médecin (20130447), des certificats médicaux, un rapport d’autopsie (20123718), des clichés d’un bloc opératoire au cours d’une intervention (20130176), des enregistrements vidéo de séances de thérapie familiale (20050872), des enregistrements sonores de conversations téléphoniques (2017144320164178).

Ce droit d’accès s’exerce aussi auprès des autorités administratives autres que les professionnels et établissements de santé, qui peuvent détenir des informations médicales personnelles : documents médicaux détenus par des organismes de sécurité sociale (20143414), dossiers médicaux d’agents employés par une administration (20171666), rapports d’expertise médicale établis à l’intention d’un comité médical (2016084120164341) ou encore documents médicaux détenus par la préfecture concernant les étrangers ayant demandé une autorisation de séjour (20163450).

En vertu des articles L. 111-7 et R. 1111-2 du code de la santé publique, le droit d’accès s’exerce, selon le choix du demandeur, soit par consultation gratuite de documents sur place, soit par la délivrance de copies, à ses frais (lesquels ne peuvent excéder le coût de la reproduction et, le cas échéant, de l’envoi des documents). Il ne comprend pas le droit de se voir remettre les pièces originales (20150002).

En quelques années, les associations de patients se sont largement saisies de ce droit : à titre d’exemple, en 2001, on notait 603 demandes pour l’ensemble des 39 hôpitaux de l’AP-HP ; en 2002, on était passé à 3009 demandes. En 2018, l’AP HP a enregistré 16 000 demandes en 2018.

Les droits des tiers : l’anonymisation au cœur du dispositif de communication des données médicale, comme le confirme l’arrêt du CE du 8 février 2023


La décision rendue par le Conseil d’Etat le 8 février 2023 (n°455887) confirme encore l’ampleur du droit à l’information en matière de documents médicaux s’agissant de la communication d’une copie du registre de contention et d’isolement d’un centre hospitalier, qui doit être assortie toutefois d’un garde-fou majeur : l’assurance de l’anonymisation des données de santé.

En l’espèce, une association réclamait la communication d’une copie du registre de contention et d’isolement d’un centre hospitalier ainsi que le rapport annuel de ce même centre rendant compte des pratiques d’admission en chambre d’isolement et de contention, de la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et de l’évaluation de sa mise en œuvre (art. L. 3222-5-1 du code de la santé publique). Ces documents par leur portée générale n’étant pas constitutifs du dossier médical du patient, leur communication relève de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration. 

Comme le rappelle l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, « l’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin ».

C’est la raison pour laquelle le législateur a instauré une obligation de tenue d’un registre pour les établissements hospitaliers, document qui est ensuite soumis au contrôle de la commission départementale des soins psychiatriques, du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou de ses délégués et des parlementaires, ainsi qu’à la commission des usagers prévue à l’article L. 1112-3 et au conseil de surveillance prévu à l’article L. 6143-1 du CSP.

C’est dire si ces données sont sensibles.

En première instance, le tribunal administratif de Lille avait privilégié le droit à l’accès à l’information en enjoignant a communication de ces documents sans occultation préalable des données relatives aux patients. 

Le Conseil d’État annule la décision et articulant le droit au respect de la vie privée et du secret médical avec le droit à l’information, décide que ces documents peuvent être communiqués à condition d’occulter l’identifiant « anonymisé » du patient.

Dans un considérant de principe, le Conseil d’Etat rappelle que l’anonymat doit être préservé, afin de préserver le secret médical, la vie privée du patient mais aussi celle des soignants :

« les éléments permettant d’identifier les patients doivent, en application des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration, être occultés préalablement à la communication du registre de contention et d’isolement, afin de ne pas porter atteinte au secret médical et à la protection de la vie privée, comme doivent également l’être celles permettant d’identifier les soignants, afin d’éviter que la divulgation d’informations les concernant puisse leur porter préjudice. »

Le Conseil d’Etat indique ensuite s’agissant des données particulièrement sensibles comme celles qui sont contenues dans le registre de contention et d’isolement qu’il appartient au juge administratif, « dans le cas où l’identité des patients a fait l’objet d’une pseudonymisation, laquelle ne permet l’identification des personnes en cause qu’après recoupement d’informations, (…) d’apprécier si, eu égard à la sensibilité des informations en cause et aux efforts nécessaires pour identifier les personnes concernées, leur communication est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical

Cette décision de la haute juridiction appelle ainsi à la prudence dans la communication des documents médicaux, qui peuvent contenir des informations, en apparence seulement, « anonymes » et qui ne peuvent être communiquées qu’au seul intéressé en vertu des dispositions de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, à l’instar de l’identifiant dit anonymisé.

En l’espèce, au regard de la nature des informations en cause, qui « touchent à la santé mentale des patients, et du nombre restreint de personnes pouvant faire l’objet d’une mesure de contention et d’isolement, facilitant ainsi leur identification », l’identifiant dit « anonymisé » figurant dans ces registres doit être regardé comme une information dont la communication est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical. Cet identifiant n’est donc communicable qu’au seul intéressé en vertu des dispositions de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

A titre de comparaison, dans un avis n° 20210743 du 15 avril 2021, la CADA a retenu une solution similaire. Elle avait été saisie par l’association européenne pour l’accès aux données publiques en matière de santé, à la suite du refus opposé par Santé publique France à sa demande de communication des indicateurs de suivi de l’épidémie de Covid‑19 (taux d’incidence, taux de dépistage et taux de positivité) aux échelons infra départementaux.

Après avoir relevé que les données relatives aux dépistages liés à la Covid‑19 avaient été établies à des échelons intercommunaux, communaux ou infra‑communaux, pour lesquels la taille de la population était réduite et le nombre hebdomadaire de résultats positifs au dépistage faible, elle a considéré que dès lors que les valeurs réelles ne permettent pas d’écarter l’identification des personnes concernées, les données sollicitées, qui doivent être regardées comme protégées par la vie privée et le secret médical, ne sont pas communicables sur le fondement du code des relations entre le public et l’administration.

L’anonymisation de l’identité des personnes concernées par les données médicales transmises constitue la boussole à suivre pour les administrations, étant noté que cette anonymisation ne se résume évidemment pas à la dissimulation des noms et prénoms.

Dans un monde où les données peuvent être commercialisées, croisées, utilisées à des fins malveillantes aussi, elle doit garantir toute identification. 

Affaire à suivre…

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