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#Urbanisme : Quand le juge administratif se fait architecte

immeuble coloré

Si le juge administratif se fait juge du bon goût architectural, que reste-t-il de la marge d’appréciation dont disposent les administrations pour délivrer une autorisation d’urbanisme ?

Historique de l’affaire


Par une décision du 13 janvier 2023 (n° 450446), le Conseil d’État a confirmé l’annulation du permis de construire octroyé à Paris Habitat pour le projet de la rue Erlanger, située dans le 16e arrondissement de Paris.

Cette décision précise l’articulation des autorisations « ERP » avec le permis de construire (lire ici et ).

Il consacre également le large pouvoir d’appréciation du juge administratif sur les projets de constructions. Et il se refuse à tenir compte, même implicitement, de l’intérêt général qui s’attache à l’édification de l’immeuble

Le projet de la rue Erlanger portait sur la construction d’un important immeuble composé d’une cinquantaine de logements sociaux, d’un local associatif, d’une crèche, d’une école et d’une résidence sociale de 25 places destinée à accueillir des femmes victimes de violence ainsi que leurs enfants.

Des riverains ont déféré le permis de construire octroyé le 6 mars 2019 par la Maire de Paris à la censure du juge administratif, qui a fait droit à la requête par un jugement du 7 janvier 2021 en annulant ce permis.

Saisi de l’affaire par la ville de Paris et Paris Habitat, le Conseil d’État, après avoir souligné de manière assez cinglante que « le maire du seizième arrondissement de Paris ne justifie pas d’un intérêt suffisant au maintien du jugement attaqué », rappelle les règles relatives à l’aspect extérieur des constructions issues du règlement du plan local d’urbanisme de la ville de Paris le contrôle normal (ou plutôt sévère), que peut opérer le juge administratif sur ce point.

Les règles en matière d’intégration des constructions nouvelles dans le tissu urbain parisien


Le règlement du plan local d’urbanisme fixe « de façon développée et nuancée » (CE, 19 juin 2015, n° 387061), les :

« règles relatives à l’aspect extérieur des constructions, aux aménagements de leurs abords, à la protection des immeubles et des éléments de paysage, applicables à la zone UG qui comprend l’essentiel du territoire construit de la ville ».

Et s’il pose le principe suivant lequel les constructions nouvelles « doivent s’intégrer au tissu urbain existant, en prenant en compte les particularités des quartiers, celles des façades existantes et des couvertures », toutefois, ce règlement prévoit également que « peuvent être autorisées des constructions nouvelles permettant d’exprimer une création architecturale ».

L’article UG 11.1.3 précise que l’objectif d’intégration dans le tissu urbain existant ne doit pas conduire à un mimétisme architectural ou faire obstacle à des projets d’architecture contemporaine.

Toute innovation n’est donc pas exclue et les constructions nouvelles « présentant une composition différente de celle des bâtiments voisins et recourant à des matériaux et teintes innovants » sont admissibles, pour autant qu’elles s’intègrent « dans le tissu urbain existant ».

Autrement dit, les constructions parisiennes ne sont pas condamnées à se conformer aux canons de l’architecture haussmannienne… mais doivent cependant s’intégrer à l’existant.

Pas de régularisation possible pour le projet de la rue Erlanger


Pour résoudre cette équation complexe, le Conseil d’État rappelle de manière classique que dans l’exercice de son contrôle, le juge doit tenir compte « de la marge d’appréciation » conférée à « l’autorité administrative pour accorder ou refuser de délivrer une autorisation d’urbanisme » (cf. par exemple CE, 19 juin 2015, n° 387061 ; CE, 5 décembre 2018, n° 410374).

Ce postulat étant posé, les juges du Palais Royal estiment que c’est à bon droit que les premiers juges ont fait valoir que les constructions projetées étaient « imposantes », entraîneraient une « densification massive d’une parcelle offrant jusqu’alors un espace de respiration et de verdure dans le quartier », lequel n’est pourtant pas « caractérisé par une unité des registres architecturaux ou une régularité des volumes ».

Cela fait évidemment écho à la décision Grands magasins de la Samaritaine, qui relevait également l’« hétérogénéité stylistique des bâtiments dans le quartier » mais observait que la « façade sur rue en verre sérigraphie et ondulé » de ce projet s’insérait dans le tissu urbain existant (CE, 19 juin 2015, n° 387061).

A l’inverse, rue Erlanger, le Conseil d’État estime que l’architecture du projet n’exprimait « aucune création architecturale », n’avait « pas de caractère innovant » du seul fait d’une végétalisation des toitures et ne s’intégrait pas « pas de manière harmonieuse aux lieux avoisinant ».

Si on peut convenir, avec le Conseil d’Etat, que tout projet de construction nouvelle n’exprime pas « pour ce seul motif », une création architecturale et que « toute innovation » ne caractérise pas « par elle-même, un projet innovant », il n’en demeure pas moins que compte tenu des motifs retenus, la marge d’appréciation conférée à l’administration pour accorder un permis de construire paraît bien mince.

Pour la Haute juridiction, les griefs affectant le projet sont tels qu’aucune mesure de régularisation n’est envisageable, sauf à apporter au projet « un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même » (CE Avis, 2 octobre 2020, n° 438318).

Qui est le juge du bon goût ?


S’il peut être admis que le juge administratif refuse la régularisation d’un projet qui ne respecte évidemment pas des règles objectives (densité, hauteur des constructions…), il est plus délicat, pour celui qui n’est pas un homme de l’art, d’affirmer qu’un projet méconnait, pour des considérations esthétiques, les particularités d’un secteur à un point tel que toute régularisation serait rendue impossible sans bouleversement de sa nature même.

Ce point de vue est d’autant plus contestable lorsque précisément un homme de l’art (l’architecte des bâtiments de France) a rendu un avis favorable sur le projet.

Autrement posée la question est de savoir si les juges sont les mieux à même d’affirmer qu’il était impossible de faire mieux en matière d’intégration du projet dans son environnement, sans en bouleverser totalement la nature.

L’argument de la « densification » reste en effet largement subjectif. Plus encore, le reproche fait à cette densification est d’affecter une parcelle « offrant jusqu’alors un espace de respiration et de verdure dans le quartier ».

Est-ce à dire qu’en proposant davantage de « respiration » et de « verdure » le projet aurait été conforme aux prescriptions du règlement du plan local d’urbanisme ?

Une « façade sur rue en verre sérigraphie et ondulé » comme à la Samaritaine aurait-elle été davantage du goût des juges administratifs ? N’est-ce pas sur ce point que doit s’appliquer de la manière la plus large qui soit la marge d’appréciation des autorités administratives ?

L’intérêt général, grand absent de la régularisation


En définitive, n’était-il pas plus pertinent, compte tenu des questions ainsi posées, de remettre le projet entre les mains du maître d’ouvrage et de son architecte, quitte à ce que le juge, se prononçant sur le projet régularisé, persiste à constater son irrégularité ?

Cette solution aurait aussi eu le mérite de tenir compte au moins implicitement de la nature du projet, porté par un bailleur social, dans un arrondissement qui reste largement déficitaire en logements sociaux [2], sans pour autant contraindre le Conseil d’État à tempérer sa jurisprudence, qui interdit d’ajouter à la condition du « bouleversement » de la nature du projet d’autres considérations qui justifieraient le recours à la voie de la régularisation (CE, 28 avril 2021, n° 441402).

Au regard d’un projet d’une telle ampleur, tout porte à croire que lui offrir une chance de régularisation aurait été soucieux tant de l’intérêt général qui s’y attache que d’une bonne gestion des deniers publics, deux notions dont on peut regretter l’absence dans les motifs de la décision.