La question de la charge de la preuve devant le juge administratif est un sujet aussi récurrent que complexe.
Le principe est clair : c’est au demandeur d’apporter la preuve des faits sur lesquels il fonde sa requête.
Mais il en va différemment dans les hypothèses où les éléments de preuve sont détenus par l’administration.
Il ne saurait en être autrement, sauf à faire supporter au requérant la charge d’une preuve impossible à rapporter.
Le Conseil d’État considère en ce sens « qu’en vertu des règles gouvernant l’attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s’il incombe, en principe, à chaque partie d’établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu’une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu’à celle-ci »(CE Section, 20 juin 2003, Société Etablissements Lebreton, n° 232832).
Une telle solution s’inscrit dans la jurisprudence traditionnelle du Conseil d’État aux termes de laquelle il appartient à l’administration soit d’apporter une preuve de nature à démentir les allégations du requérant, soit de fournir des éléments « susceptibles d’établir la conviction du juge »en permettant « la vérification des allégations du requérant »(CE Section, 1er mai 1936, Couespel du Mesnil, Rec. p. 485).
En sens, il est constant « qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties ; que s’il peut écarter des allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l’auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu’il avance ; que, le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d’allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l’administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d’instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur » (CE, 26 novembre 2012, Mme Cordière, n° 354108).
Et la doctrine observe que « le juge sanctionne très systématiquement le refus de l’Administration de lui communiquer les dossiers et documents qu’il lui avait expressément réclamés comme étant indispensables à la découverte de la vérité et donc au bon déroulement du procès. Cette sanction a concrètement prolongé le pouvoir que le juge administratif s’est de longue date reconnu d’exiger qu’une autorité publique lui communique en tant que de besoin les dossiers et documents nécessaires à son information » (B. Pacteau, « La preuve en contentieux administratif – Attribution des charges de preuve », Répertoire du contentieux administratif Dalloz, § 100 et suivants).
L’affaire tranchée par le Conseil d’État le 3 février dernier, à propos d’une décharge de cotisation de taxe d’habitation, rappelle ces principes.
L’organisme de gestion de l’école catholique Ecole et Collège Saint Nicolas a été assujetti à la taxe d’habitation au titre de l’année 2017 dans les rôles de la commune de Toulouse, à raison de l’ensemble immobilier qu’elle y exploite.
Cet organisme a demandé la décharge de cette imposition devant le juge administratif, qui a rejeté sa demande en première instance.
Statuant sur cette affaire, le Conseil d’État a observé que l’organisme requérant avait demandé, en vain, communication des rôles relatifs aux impositions litigieuses.
L’objectif poursuivi était de s’assurer qu’ils revêtaient « les mentions requises par la jurisprudence et par l’article 24 du décret du 7 novembre 2012 et qui conditionnent leur régularité ».
En particulier, ces rôles d’imposition doivent comporter l’identification du contribuable, ainsi que le total par nature d’impôt et par année des sommes à acquitter.
Or en première instance, le tribunal administratif n’a pas recherché si ces mentions figuraient sur les rôles, alors mêmes qu’elles en conditionnent la régularité et, partant, conditionnaient également l’issue du litige.
Les premiers juges ne pouvaient donc pas rejeter le moyen au motif que « le requérant ne soutient ni même n’allègue que le rôle litigieux serait dépourvu des mentions qui doivent y figurer ».
En effet, dès lors que le requérant démontrait avoir saisi le comptable chargé du recouvrement des impôts direct un extrait du rôle litigieux, en vertu de l’article L. 104 du livre des procédures fiscales et n’avoir obtenu aucune réponse, les juges ne pouvaient exiger de sa part qu’il apporte la preuve des faits qu’il avance dès lors qu’il n’a pas eu matériellement accès à ces rôles.
Conformément à la jurisprudence Cordière précitée, il appartenait donc au juge « de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d’instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur ».
Le jugement entrepris est donc logiquement censuré et l’affaire renvoyée au tribunal administratif de Toulouse.
Pour lire la décision commentée : CE, 3 février 2022, Organisme de gestion de l’école catholique Ecole et Collège Saint, n° 439580
La question de la charge de la preuve devant le juge administratif est un sujet aussi récurrent que complexe.
Le principe est clair : c’est au demandeur d’apporter la preuve des faits sur lesquels il fonde sa requête.
Mais il en va différemment dans les hypothèses où les éléments de preuve sont détenus par l’administration.
Il ne saurait en être autrement, sauf à faire supporter au requérant la charge d’une preuve impossible à rapporter.
Le Conseil d’État considère en ce sens « qu’en vertu des règles gouvernant l’attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s’il incombe, en principe, à chaque partie d’établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu’une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu’à celle-ci »(CE Section, 20 juin 2003, Société Etablissements Lebreton, n° 232832).
Une telle solution s’inscrit dans la jurisprudence traditionnelle du Conseil d’État aux termes de laquelle il appartient à l’administration soit d’apporter une preuve de nature à démentir les allégations du requérant, soit de fournir des éléments « susceptibles d’établir la conviction du juge »en permettant « la vérification des allégations du requérant »(CE Section, 1er mai 1936, Couespel du Mesnil, Rec. p. 485).
En sens, il est constant « qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties ; que s’il peut écarter des allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l’auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu’il avance ; que, le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d’allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l’administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d’instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur » (CE, 26 novembre 2012, Mme Cordière, n° 354108).
Et la doctrine observe que « le juge sanctionne très systématiquement le refus de l’Administration de lui communiquer les dossiers et documents qu’il lui avait expressément réclamés comme étant indispensables à la découverte de la vérité et donc au bon déroulement du procès. Cette sanction a concrètement prolongé le pouvoir que le juge administratif s’est de longue date reconnu d’exiger qu’une autorité publique lui communique en tant que de besoin les dossiers et documents nécessaires à son information » (B. Pacteau, « La preuve en contentieux administratif – Attribution des charges de preuve », Répertoire du contentieux administratif Dalloz, § 100 et suivants).
L’affaire tranchée par le Conseil d’État le 3 février dernier, à propos d’une décharge de cotisation de taxe d’habitation, rappelle ces principes.
L’organisme de gestion de l’école catholique Ecole et Collège Saint Nicolas a été assujetti à la taxe d’habitation au titre de l’année 2017 dans les rôles de la commune de Toulouse, à raison de l’ensemble immobilier qu’elle y exploite.
Cet organisme a demandé la décharge de cette imposition devant le juge administratif, qui a rejeté sa demande en première instance.
Statuant sur cette affaire, le Conseil d’État a observé que l’organisme requérant avait demandé, en vain, communication des rôles relatifs aux impositions litigieuses.
L’objectif poursuivi était de s’assurer qu’ils revêtaient « les mentions requises par la jurisprudence et par l’article 24 du décret du 7 novembre 2012 et qui conditionnent leur régularité ».
En particulier, ces rôles d’imposition doivent comporter l’identification du contribuable, ainsi que le total par nature d’impôt et par année des sommes à acquitter.
Or en première instance, le tribunal administratif n’a pas recherché si ces mentions figuraient sur les rôles, alors mêmes qu’elles en conditionnent la régularité et, partant, conditionnaient également l’issue du litige.
Les premiers juges ne pouvaient donc pas rejeter le moyen au motif que « le requérant ne soutient ni même n’allègue que le rôle litigieux serait dépourvu des mentions qui doivent y figurer ».
En effet, dès lors que le requérant démontrait avoir saisi le comptable chargé du recouvrement des impôts direct un extrait du rôle litigieux, en vertu de l’article L. 104 du livre des procédures fiscales et n’avoir obtenu aucune réponse, les juges ne pouvaient exiger de sa part qu’il apporte la preuve des faits qu’il avance dès lors qu’il n’a pas eu matériellement accès à ces rôles.
Conformément à la jurisprudence Cordière précitée, il appartenait donc au juge « de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d’instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur ».
Le jugement entrepris est donc logiquement censuré et l’affaire renvoyée au tribunal administratif de Toulouse.
Pour lire la décision commentée : CE, 3 février 2022, Organisme de gestion de l’école catholique Ecole et Collège Saint, n° 439580