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#Domainepublic – Halles de marché : une réalité encore inadaptée au régime du domaine public

Alors que de nombreuses collectivités territoriales lancent des appels d’offres pour le développement de nouveaux commerces et projet dans les halles et marchés locaux, les règlements de marché, qui avantagent habituellement les commerçants en place et sont conformes à l’économie de ce type d’activité, sont aujourd’hui majoritairement en contradiction avec les dispositions de l’ordonnance de 2017 et le principe de précarité de l’occupation du domaine public.

Les abonnements aux halles des marchés : des AOT pas comme les autres

Les halles de marché, notamment couverts, appartiennent au domaine public et se trouvent ainsi soumises à ce régime spécifique, qui implique notamment une publicité et une mise en concurrence de l’attribution des places. Toute occupation du domaine public est nécessairement précaire, ce qui interdit tout droit à la reconduction des autorisations.

Pourtant, les places de halles de marché, qui sont des « autorisations d’occupation du domaine public », sont généralement soumises à des règlements de marché qui fixent spécifiquement et en dehors du régime du domaine public, les règles applicables aux abonnements à la halle (résiliation, droits de place et de stationnement, etc.)

C’est le maire qui, après consultation des organisations professionnelles et du conseil municipal détient le pouvoir de fixer par arrêté le règlement des marchés municipaux et notamment le régime d’attribution des emplacements, ainsi qu’ensuite les autorisations d’occupation (art. R. 2241-1 du CGCT) :

« Les délibérations du conseil municipal relatives à la création, au transfert ou à la suppression de halles ou de marchés communaux sont prises après consultation des organisations professionnelles intéressées qui disposent d’un délai d’un mois pour émettre un avis.

Le régime des droits de place et de stationnement sur les halles et les marchés est défini conformément aux dispositions d’un cahier des charges ou d’un règlement établi par l’autorité municipale après consultation des organisations professionnelles intéressées. » (article L. 2224-18 du CGCT)

Or, du fait de considérations politiques locales bien naturelles, mais aussi de l’économie de ce type d’activités, les règlements des marchés organisent généralement une attribution préférentielle des abonnements aux commerçants déjà en place, mettant à mal le principe de mise en concurrence et de précarité de l’occupation du domaine public.

Il n’est ainsi pas rare que le commerçant en place bénéficie d’un droit de priorité en cas de volonté de s’agrandir. De la même façon, en cas de travaux ou de réorganisation de la halle,il n’est pas rare que le règlement des marchés assure au commerçant dont l’emplacement a été modifié ou supprimé un nouvel emplacement ou un droit de priorité. Certains règlements vont même jusqu’à avantager les commerçants évincés du fait de travaux, en cas de libération d’une nouvelle place, par rapport aux nouveaux entrants.

Une commission des marchés donne, par ailleurs, un avis sur les candidatures des nouveaux entrants : et même si l’avis de la commission des marchés reste consultatif, en pratique il est très régulièrement suivi, conférant à cette commission le pouvoir de choisir les titulaires des futurs emplacements. Il en résulte un risque de conflit d’intérêts puisque l’avis des commerçants présents au sein de la commission pourra être influencé par leurs propres intérêts : volonté de favoriser un commerce plutôt qu’un autre, volonté de nuire à un concurrent, etc.

Il faut enfin ajouter à cela que beaucoup d’autorisations de marché ne comprennent pas de durée et que ce caractère illimité des AOT est confirmé par les règlements des marchés, qui ne prévoient souvent une éviction qu’en cas de faute du titulaire. Ces AOT, même si elles mentionnent leur caractère précaire, confèrent donc dans les faits un droit d’occupation très long à leurs titulaires, droit qui s’il peut théoriquement être remis en cause du fait du caractère précaire des AOT, l’est rarement dans les faits (sauf faute du titulaire).

Si cela est économiquement logique et les collectivités territoriales l’ont bien compris, cela n’est toutefois pas conforme aux règles qui régissent le domaine public. C’est dire si les règlements des marchés obéissent à leurs propres règles, non sans difficulté, comme le souligne aussi un auteur :

« Outre le problème d’impartialité posé par la composition des commissions des marchés, les règlements ne prévoient pas véritablement de règles de publicité. Il y a donc un grand risque de voir les emplacements libres des marchés attribués dans un « entre soi » tout à fait contraire à l’exigence d’une saine concurrence entre commerçants. » (Sorbara, Jean-Gabriel. « L’inadéquation du régime du domaine public aux Halles et Marchés », Droit et Ville, vol. 87, no. 1, 2019, pp. 65-76).

Le renforcement de la spécificité des abonnements aux halles depuis la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014

En outre, depuis 2014, la cession du fonds de commerce d’un titulaire d’un titre d’occupation sur le domaine public situé dans une halle ou un marché renforce cette spécificité : l’article L. 2224-18-1 du CGCT, créé par l’article 71 de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, permet, au titulaire d’un titre d’occupation du domaine public situé dans une halle ou un marché, de présenter au maire un successeur dans le cadre de la cession de son fonds de commerce. En cas d’acceptation par le maire, le successeur est subrogé dans les droits et obligations du cédant et se voit transférer, sans modification, l’autorisation d’occupation du domaine public du titulaire initial permettant l’exercice de l’activité afférente au fonds de commerce.

Le droit de présentation équivaut à un droit d’occupation, qui n’est pas donc soumis à la remise en concurrence et à publicité, puisqu’il fait partie de la cession du fonds de commerce.

Quel avenir pour les règlements de marché ?

L’avenir des règlements de marché et des abonnements, tels qu’ils existent aujourd’hui, paraît encore incertain.

Toute remise en cause brutale du fonctionnement actuel qui reviendrait à remettre l’ensemble des abonnements en concurrence ne pourrait qu’être dommageable à la fois aux commerçants et à la collectivité territoriale qui effectuerait une telle démarche pour se mettre en conformité avec l’ordonnance de 2017, à la fois politiquement et économiquement.

Le bouleversement global des abonnements d’une halle de marché n’étant pas souhaitable, il est nécessaire de procéder avec méthodologie, par exemple, en lançant des appels à manifestation d’intérêts lorsqu’un commerçant résilie son abonnement ou lorsqu’une place se libère ou est créée.

Lorsqu’une collectivité territoriale entend lancer un appel d’offres pour une place dans une halle de marché, il convient ainsi dans le cadre de l’appel d’offres de prêter attention à plusieurs points :

  • la compatibilité avec les dispositions du règlement des marchés et le cas échéant, procéder tout d’abord à une modification du règlement des marchés, après négociations avec les parties prenantes ;
  • la durée de l’autorisation de l’occupation du domaine public : l’autorisation d’occupation du domaine public que constitue l’abonnement ne peut être inférieure à la durée « nécessaire pour assurer l’amortissement des investissements projetés et une rémunération équitable et suffisante des capitaux investis » (art. L. 2122-2 du code général de la propriété des personnes publiques).

Ce point concerne aussi bien le titulaire de l’abonnement qui se voit résilier que la nouvelle autorisation d’occupation du domaine public qui va être attribuée à l’issue de l’appel à manifestation d’intérêts.

Les solutions sont nombreuses et restent à inventer !