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Maquis réglementaire et labyrinthe administratif : le parcours d’obstacles des Padhue

Face à l’attitude des autorités de santé, c’est peut-être la justice qui donnera finalement raison aux Padhue.

En 2018, un rapport sénatorial observait que les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) « sont devenus, au fil des années, indispensables au fonctionnement de certains de nos établissements de santé ». Ce constat demeure d’actualité. Les Padhue sont des personnels formés, nombreux et immédiatement disponibles, bien intégrés dans le fonctionnement des services hospitaliers.

Pourtant, alors que la crise majeure que connaît l’hôpital public (fermetures de services, manque d’attractivité et difficultés de recrutement) et le fléau de la désertification médicale devraient conduire à les traiter avec soin, ces praticiens sont maintenus dans une situation précaire et font face à une administration débordée… ou qui se satisfait d’avoir à sa disposition des praticiens qualifiés à moindre coût.

Comment s’explique cette situation kafkaïenne ?

Deux voies d’accès, deux impasses


Afin d’exercer la profession de médecin en France, les Padhue doivent se soumettre à une procédure d’autorisation d’exercice prévue par le code de la santé publique. Si dans son principe, cette procédure est la bienvenue, sa mise en œuvre est largement défaillante.

La voie du concours – complexe et longue, car suivie d’une période d’exercice probatoire – s’achève par la délivrance d’une autorisation de plein exercice. Ces autorisations de plein exercice sont toutefois délivrées au compte-goutte : entre 2007 et 2017, seulement 2 812 diplômés étrangers ont obtenu cette autorisation d’exercer, soit moins de 30 % de l’ensemble des lauréats des épreuves de vérification des connaissances.

En parallèle, des voies d’accès dérogatoires ont été ouvertes « de manière transitoire » (commentaire officiel de la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-890 QPC du 19 mars 2021, p 2) pour prendre en compte la situation des praticiens justifiant déjà d’une pratique médicale en France. Cette période « transitoire » aura finalement duré près de dix ans, sans permettre pour autant un assainissement de la situation puisque des Padhue ont continué d’être recrutés sous d’autres statuts.

Dont acte : le législateur est intervenu une nouvelle fois pour mettre en place un dispositif de « résorption des situations des professionnels exerçant sans autorisations de plein exercice » autrement dit, langage administratif mis à part, un système de « gestion du stock » des Padhue. Cette seconde voie d’accès à la profession donne droit à une attestation temporaire d’exercice aux praticiens éligibles, valable initialement jusqu’au 31 décembre 2021, date reportée au 31 décembre 2022.

Mais alors que le temps presse avant cette échéance, le dispositif est (encore) à la peine. Il était initialement mal conçu, ce qui a conduit le Conseil constitutionnel puis le Conseil d’État à le retoquer partiellement.

Et de surcroît, l’administration traîne à traiter les dossiers. Des ARS persistent à refuser des dossiers déposés par les Padhue ayant exercé au sein d’établissements médico-sociaux, au mépris des censures successives du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État. Les commissions régionales appelées à se prononcer sur ces dossiers sont débordées, tout comme l’est le Centre national de gestion…

Le syndicat SNPADHUE observe qu’en dix-huit mois, la plupart des dossiers n’auraient même pas été examinés au niveau des commissions régionales. Et si les commissions régionales mettent les bouchées doubles pour traiter les demandes, le centre national de gestion pourrait bien être submergé.

Sauf miracle administratif, au 31 décembre 2022, tous les dossiers n’auront pas été traités. C’est donc un énième report de ce délai qui s’annonce… Si une loi est votée.

Mise à jour : la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a reporté au 30 avril 2023 la date à laquelle prend fin le dispositif dérogatoire d’autorisation d’exercice de certains praticiens diplômés hors Union européenne

Article 48 de la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023

Qui pour siffler la fin de la partie ?


Les pouvoirs publics naviguent à vue sur la question du statut des Padhue. L’adoption dans la précipitation le 26 février dernier d’un arrêté visant à remédier aux effets « des nouvelles règles d’affectation des lauréats des épreuves de vérification des connaissances », au mépris de la continuité des soins et de la stabilité des équipes médicales, est particulièrement révélatrice d’un manque d’anticipation.

Dans ce contexte, l’action collective des associations et syndicats de Padhue – déjà forts actifs – ne doit pas être négligée, tant pour porter la voix de ces praticiens devant les pouvoirs publics que, le cas échéant, saisir le juge administratif des textes qui réglementent leur statut.

Pour les praticiens concernés, recourir à la juridiction administrative semble également être une option à considérer sérieusement, tant pour contester les décisions administratives défavorables que pour tenter de remédier à l’inertie de l’administration à examiner les dossiers avant le 31 décembre prochain.

La démarche n’est pas vaine : à titre d’exemple, certaines ARS qui refusaient le dépôt de dossiers reviennent sur leur décision aussitôt le juge saisi, trop soucieuses d’avoir à subir les effets d’un précédent jurisprudentiel qui pourrait leur être défavorable.

Face à l’inaction des pouvoirs publics, c’est peut-être la justice qui viendra éclaircir l’horizon des Padhue. Car au-delà de l’atteinte portée aux droits des praticiens concernés, c’est la continuité même du service public de la santé qui est en cause : si les pouvoirs publics n’y sont pas sensibles, espérons que les juges administratifs y veilleront.